Voici le témoignage reçu !
Eternity
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Témoignage , passage en néonatologie 5 semaines
Zoïk Sévigny né le 14 août 2007 à 31 semaines 1 jour de gestation
Kangoutou et allaitement
Il y a quelques années, j’ai vue un documentaire mettant en scène des bébés singes.[1] Entre une mère de substitution en métal avec des biberons et une mère de substitution en fourrure le bébé primate affamé choisissait la chaleur et le réconfort de la seconde. C’est dans cet état d’esprit que j’ai abordé notre séjour en néonatologie. Mon fils avait avant tout besoin de notre chaleur, de notre contact, il avait besoin de ses parents.
Un vague souvenir d’un reportage sur la méthode kangourou m’a amené à faire quelques recherches lors de mon hospitalisation pour fissure des membranes à 30 semaines de grossesse. Mes lectures m’ont sécurisées et en quelque sorte réconciliées avec la situation. Nous pourrions jouer un rôle actif pour le bien être de notre bébé, notre implication pourrait même faire la différence. Malgré le changement de projet (accouchement à la maison avec une sage femme) nous pourrions voir la nature poursuivre son travail à l’unité de néonatologie.
Quelques heures après mon l’accouchement (qui s’est déroulé en toute intimité devant plus d’une dizaine d’inconnus), j’ai reçu un coup de fil de ma cousine Élène. Elle avait fait l’expérience de la néonatalogie une année plus tôt avec ses jumeaux. Elle ne saura jamais à quel point ses précieux mots ont fait toute la différence pour nous. J’y ai puisé la force de me faire confiance, de respecter mes valeurs et d’être une mère dès la naissance de mon fils et de ne pas attendre sa sortie de l’hôpital. Alors j’étais plus solide, rassuré dans mes convictions. Je voulais materner mon bébé, l’allaiter et sortir de l’hôpital seulement lorsque qu’il aurait son congé. À l’hôpital il serait entre bonnes mains : les miennes et celles de son père!
Dès son deuxième jour de vie, les séances kangourou ont apaisées maman, papa et bébé. Des restrictions nous étaient imposées, tout d’abord à cause de sa jaunisse puis par peur d’épuiser notre petit Zoïk. Sans nous décourager, toutes les minutes accordées étaient précieusement investies. Nous avons rapidement troqué la jaquette d’hôpital par nos propres vêtements, camisoles et chandail à fermeture éclaire pour maman et chemise pour papa. Les séances se prolongeaient grâce à ce nouveau confort et à notre assurance grandissante. Je profitais de ces moments pour me frotter le bedon, bébé s’y trouvaient toujours mais cette fois-ci à l’extérieur. Une douce façon de faire le deuil de la grossesse si rapidement interrompue.
Nous connaissions les bienfaits de la méthode et de par notre implication, nous avons trouvé notre place dans cet univers médical. Nous pouvions être plus que des observateurs. Notre sentiment d’impuissance pouvait maintenant laisser place à un grand sentiment d’accomplissement. Mettant de côté les termes techniques et le fameux moniteur, nous avons rapidement appris à observer fiston. Nous étions en mesure de reconnaître ses signes de fatigue et ses moments de détentes. Entouré du personnel soignant, nous devenions nous aussi les experts. Une fois le corps devenu incubateur, l’échange amoureux était des plus significatif. Nous avions besoin l’un de l’autre et nous répondions mutuellement à nos besoins. L’épreuve que nous a livrée la vie s’est imprégnée de petits moments de bonheur maintenant gravés en chacun de nous. La bulle que nous avons réussi à se créer nous a rendus forts tout au long du parcours
Parmi les nombreux avantages de la méthode Kangourou, elle est réputée faciliter l’allaitement.
En néonatalogie, le lait maternel est de l’or blanc, les mères sont très encouragées à l’exprimer afin que les nouveaux nés le reçoivent par gavage. Mon chum est allé porter à l’unité les premières gouttes de mon colostrum, fièrement et durement recueillies à la petite cuillère, le torse bombé! Cette première tâche complétée, nous étions un peu plus parents, malgré la situation nous avions un rôle à jouer. Dans les jours suivant, je me suis rapidement familiarisé avec ma trayeuse. Les infirmières trouvaient ce terme épouvantable, mais moi, ça m’aidait à prendre ça avec humour. J’aurai passé au total plus de 85 heures ploguée dessus …sept à huit fois par jours 15min pendant 8 semaines.
À l’unité, deux tire-lait électriques étaient à la disposition des mères, pour une capacité de 20 bébés et un salon d’allaitement dont l’accès est interdit aux bébés où seul le tire-lait accompagne la mère. Avec le recul, cette image reflète bien le sens que le mot allaitement prenait à l’unité. Pour avoir suffisamment de lait et du bon lait, les mères sont encouragées à retourner à la maison se reposer, se changer les idées afin d’être en pleine forme pour accompagner le bébé qui a tant besoin que sa mère soit à son meilleur : Tu peux téléphoner quand tu veux, je vais lui dire que tu penses à lui, ramènes-nous du bon lait…J’avais en tête les bébés singes, ces commentaires ne trouvaient pas écho chez moi. C’était un non sens, je ne pouvais pas venir visiter mon fils, je devais être disponible pour lui, le consoler quand il pleur, lui caresser la tête quand on le pique, changer ses couches, lui donner son bain, lui chanter des chansons, le porter sur ma peau et apprendre à le connaître. Je serais fatiguée oui et alors, je m’y attendais un peu en désirant cet enfant. C’est sans jugement que je côtoyais les autres parents. Je suis une fille obstinée, déterminée et j’ai une bonne capacité d’adaptation. C’était pourtant difficile d’être vagabond dans cet hôpital. Pas de chambre, même pas une case pour les effets personnels. De nouveaux draps chaque jours et une petite douche à la sauvette sur l’étage. Mes effets perso dans un sac sur le bord de la porte, une pagette comme seul lien avec le monde extérieur et aucune intimité pour vivre toutes ces émotions.
Il n’était aucunement de me séparer de mon fils sept fois par jour pour aller tirer mon lait dans le salon d’allaitement, je m’y sentais en conséquence. Mon chum m’a procuré un grand foulard, je me couvrais du mieux possible et c’est auprès de Zoïk coincé entre deux isolettes et même pendant quelques temps devant une grande vitre que je le faisais. Ça m’aidait à y trouver du sens. Pour ce qui est de l’allaitement, proprement dit, je posais beaucoup de questions aux infirmières. Les réponses se ressemblaient, je devrais attendre le retour de vacance de l’infirmière qui s’y connaît le mieux. Elle sera de retour dans deux semaines, il n’y a pas de presse de toute façon ton bébé est trop petit. Pour elles il n’y avait pas d’urgence, pour moi c’était une urgence nationale.
La méthode Kangourou m’a beaucoup aidé, Zoïk bien collé sur ma poitrine j’aimais y glisser la tête près d’un mamelon, je me sentais délinquante, mais j’y allais de mon instinct. J’étais donc très alaise lors du premier contact au sein à 9 jours de vie. Je réussissais à faire abstraction de toute l’activité de l’unité néonatale. Mettre au sein un si petit bébé, ce n’est pas très discret. Quand on est assis près du lavabo de service et en angle de la porte d’entré de l’unité, soit on abandonne l’allaitement ou on accepte de s’exhiber. Fini la pudeur, mes immenses seins gorgés de lait étaient maintenant publiques. Pour ce qui est du support moral, il y a des perles à l’unité mais d’autres personnes viennent y faire de l’ombre : Ca va le fatiguer, tu vas t’épuiser, y’a pas de mal à lui donner le biberon, tu lui donnes déjà ce qu’il y a de mieux, c’est parce que tu refuses de lui donner une suce qu’il ne sait pas téter…Bref je comprends celles qui ont cédées au biberon. Le sentiment d’incompétence est insupportable, il faut maintenir de bonnes statistiques, nous remplissons nos feuilles, pouvons visualiser nos performances, mise au sein, durée, tété efficaces, lait exprimé par chaque sein. On s’y accroche, parfois c’est très encouragent d’autre fois, source de stress. Je ne produisais pratiquement pas de lait du sein gauche. Alors 7 fois par jour, ça diminuait un peu et je le vivais comme une défaite. Sans compter les mises au sein infructueuses. Zoïk était gavé alors il n’avait pas faim, il aimait être au sein mais boire, quel intérêt? Mise au sein avant ou pendant le gavage tout dépendant de l’approche de l’infirmière et cela aux 3 heures après le changement de couche. Pas évident de réussir à intéresser bébé.
Mon plus beau souvenir d’allaitement à l’unité s’est passé en dehors des heures de boires règlementaires, pendant une séance de Kangourou. Zoïk s’est mis à gigoter, à me pousser avec ses minuscules mains. Comme si c’était le plus naturel du monde, j’ai étiré ma camisole pour lui laisser plus de place, il s’est glissé sur mon sein et a but, il a bien bu, avec appétit, j’en ai encore des frissons. Alors je m’accrocherais, puiserais la force de continuer et de croire en la possibilité de l’allaiter. Ce qui fut mission accomplie à 38 semaines, 1 mois et demie de vie. La poursuite de ce but fut un voyage en montagne russe. De petites réussites et de nombreux remous. Le gavage a été arrêté 4 jours avant le départ pour la maison. Je le mettais au sein et nous complétions au gobelet avec mes réserves de lait qui ne cessaient de s’accumuler (plusieurs litres dans le congélateur de ma précieuse amie Sandra).
Après 39 dodos à l’hôpital, l’accouchement était finalement fini, nous quittions l’hôpital avec le fruit de notre amour, notre magnifique garçon de 2,33 k. L’aventure n’était pas terminé, un bon deux semaines fut nécessaire avant que je me débarrasse de ma trayeuse. Les boires duraient 1h30, 45 minutes de mises au sein, 15 minutes de tire-lait et 15 minutes pour le gobelet, nettoyage et hop le tout est à recommencer. Merci 1000 x à Christophe qui m’a soutenue accompagné encouragé et aimé malgré mon morale à terre et mes crises de découragements. C’est après 2 rencontres avec Anne McSween une médecin spécialiste en allaitement que nous avons le plus progressé. De précieux conseils adaptés aux capacités de Zoïk, j’aurais aimé les avoir deux mois avant, au tout début de l’aventure. Pourquoi toutes les mamans en néo n’ont pas accès à un tel support. Pourquoi la consultante en allaitement de l’hôpital n’a pas de temps à consacrer à l’unité. Les bébés y sont tellement vulnérables, les mères tellement atteinte dans leur maternité. Je me sens triste à l’idée que d’autres vivent tout ces tourments et qui, avec un support adéquat, pourraient être allégés.
Le CHUS a un projet de nouveau Centre Femme jeunesse famille où se dressera une nouvelle unité néonatale. J’espère profondément que modernité y rimera avec humanisation des soins, que les parents y seront intégrés et valorisés, que les mères y trouverons un réel support à l’allaitement afin que tous expérimentent les bénéfices.
Zoïk a maintenant 15 mois, la famille va s’agrandir, il sera bientôt grand frère dans quelques mois. Je fantasme déjà de voir mes deux enfants se regarder dans les yeux en buvant au sein…
Ani Léveillé
Sherbrooke
Pour plus d’infos :
Charpack, N. ( 2005) Bébés Kangourous Materner autrement, Paris : Odile Jacob
Louis, S. (2007) Accompagner son enfant prématuré, Montréal : Édition du CHU Sainte-Justine
[1] Rock A Bye Baby (Balance un au revoir, bébé)
Un documentaire de Time Life (1970)
Producteur: Lothar Wolff
http://www.violence.de/tv/rockabye-f.html